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Articolo contenuto in Vol. 99 Anno 2022 --> Fasc. 4

Connaissance et sainteté à l’école de saint Thomas d’Aquin

Pubblicazione Inverno 2022

Scritto da
  • Cayeux Marie des Anges

Abstract

It is by virtue of his intellectual nature that man is said to exist in the image of God, Saint Thomas explains. Thus, the trait whereby man will be most in the image of God, will be that whereby the intellectual nature can best imitate God. An intellectual nature imitates God above all through imitating his simultaneous acts of knowing and loving himself. This is the foundation of the indissoluble link between knowledge and holiness, which has been much abused since the end of the Middle Ages. Nevertheless, this is the necessary element to eradicate the harmful habit of dissociating the intellectual life from the spiritual life. We must resolutely put an end to this dualism, which is totally alien to the Angelic Doctor’s thought. It has implications for the way in which we conceive of and undertake theological work, as well as for the way we live our relationship with God and communicate with him.


Testo:

Introduction

Saint Thomas aimait à commenter les mots inscrits par Aristote en tête de sa Métaphysique, «Tous les hommes par nature aspirent à connaître».(1) Connaître quoi ou connaître qui? Dieu lui-même. Toute-fois, l’objet de cette connaissance, Dieu, n’est pas un concept mais une personne qui s’est donnée à connaître et s’est révélée à nous par le Christ sous la motion de l’Esprit Saint.(2) Il fera notre béatitude car «la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ» (Jn 17, 3). D’emblée notre approche sera donc théologique!

Nous sommes faits pour la vision béatifique et que font les bienheureux? Ils voient Dieu! C’est-à-dire qu’ils voient Dieu avec l’œil de l’intelligence, lequel oeil donne de Les deux facultés que sont l’intelligence et et la volonté, distinctes mais étroitement associées, fondent, on le sait, la nature humaine en tant que rationnelle. Ces deux facultés, qualifiées de puissances ou de principes d’action, ont un rôle propre: l’intelligence permettant de connaître le vrai et la volonté d’aimer le bien. Si l’on considère que l’intelligence a pour objet la vérité première et la volonté l’amour de Dieu, ces puissances de l’âme portent en elles un caractère objectif nettement marqué dès le départ. Dans la mesure où la Vérité est un bien que l’intelligence a présenté à la volonté comme tel, l’homme est amené non seulement à connaître la Vérité mais encore à l’aimer. Aussi, dans la vie chrétienne, l’intelligence sera-t-elle associée à la foi qui cherchant à connaître ce à quoi elle adhère, et la volonté à l’amour.

D’autre part, puisque c’est en vertu de sa nature intellectuelle que l’homme est dit exister à l’image de Dieu, le trait par lequel il sera le plus à l’image de Dieu, nous dit saint Thomas, sera celui par lequel la nature intellectuelle peut le plus imiter Dieu.(3) Or, affirme l’Aquinate, la nature intellectuelle imite Dieu surtout en ce que Dieu se connaît et s’aime lui-même. Ainsi donc, le désir de connaître du croyant sera tout à la fois un besoin né de l’amour révélé et manifesté par le Fils, un signe de son intérêt ou de sa passion pour Dieu dont l’image est imprimée dans son âme, mais aussi une disponibilité à recevoir l’Esprit Saint qui illumine l’intelligence et le porte à aimer. Il y a là tout ce qu’il faut pour éradiquer cette habitude néfaste de dissocier vie intellectuelle et vie spirituelle et pour en finir résolument avec ce dualisme totalement étranger à la pensée du Docteur angélique; un dualisme auquel nous ne pouvons nous résigner.

Insister à la suite de l’Aquinate sur le rapport, pour ne pas dire le lien étroit, entre la connaissance et la sainteté afin d’en souligner l’importance et l’enjeu actuels sera justement le défi de cette étude. Pour ce faire, il conviendra en un premier temps de présenter la sainteté telle que S. Thomas la définit, en précisant la nature de cette relation à Dieu. Chercher ensuite à affiner la place de la connaissance et de l’amour dans l’application de l’homme à Dieu et leur rapport dans la fameuse circolatio ad invicem fera l’objet d’un deuxième volet. Enfin, établir les liens entre connaissance, contemplation et sainteté, en nous arrêtant sur la scientia sanctorum, constituera l’ultime étape de cette réflexion.

I. LA SAINTETÉ, UNE ŒUVRE DIVINE À LAQUELLE RÉPOND UNE DISPOSITION DE TOUT L’ÊTRE À DIEU

1. Une œuvre divine

«C’est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie» affirme Yahvé à Moïse (Lv 21, 8), ce qui fera dire à l’Aquinate que sanctifier les hommes est proprement l’œuvre de Dieu.(4) Mais dans la longue prière sacerdotale faite par le Christ, à la veille de sa Passion au Cénacle, Jésus prie ainsi le Père: «Sanctifie-les dans la vérité; ta parole est vérité» (Jn 17, 17).(5) Jésus donc, fait connaître ses dernières volontés et demande au Père de sanctifier les apôtres. La première chose à souligner, est bien que c’est le Père qui sanctifie,(6) et non l’homme qui se sanctifie. Autrement dit, la sainteté, comme la justification qui en est le fondement, est un don de Dieu, fruit de la grâce habituelle: saint Thomas parle de la grâce de la sainteté gratia santitatis.(7) Toutefois, il faut encore préciser que pour l’Aquinate, comme M.-D. Chenu l’a admirablement synthétisé, l’action de Dieu est conçue non comme un concours apporté à mon œuvre personnelle, mais comme «une présence créatrice insérée à la racine de mon être, et une source ontologique de ma liberté sous la grâce»,(8) et cette action de Dieu élève la nature humaine à sa perfection.(9) Comme si la grâce de sainteté dynamisait notre nature pour la porter à sa perfection. (Capax Dei: habilitas et non potentia!) La sainteté que Dieu nous donne, n’est donc pas une perfection superposée à la nature humaine et sans rapport intrinsèque avec elle, au contraire, la sainteté porte la nature humaine à son accomplissement en ce sens qu’elle est véritablement le meilleur possible pour elle.

Ne nous réjouissons pas trop vite! Saint Thomas, tout saint et tout docteur qu’il soit, — et quel saint et quel docteur! aurait pu dire Péguy — ne nous a pas laissé un traité explicitement consacré au sujet. On trouve cependant dans son œuvre une véritable réflexion sur la nature de la sainteté, exactement celle d’ailleurs, qu’il a lui-même vécue et manifestée.

2. Aller vers Dieu

Cette doctrine sur la sainteté, S. Thomas l’a lui-même résumée ainsidans son commentaire sur l’évangile de saint Jean: «En cela consiste la sainteté de l’homme: qu’il aille vers Dieu».(10) Cette définition apparaît assez simple et singulièrement concise, certes, mais elle n’en est pas moins riche. Elle focalise sur Dieu notre mouvement et permet ainsi de rappeler que la sainteté ne consiste ni dans les pénitences ou les diverses mortifications possibles, ni même dans les bonnes œuvres; mais elle ne consiste pas non plus dans l’exercice des vertus morales, dans la mesure où les vertus morales de prudence, force, justice et tempérance disposent à la vie théologale, et lui sont essentielles, mais ne peuvent pas être causes des vertus théologales de foi, espérance et charité qui sont, s’il faut le rappeler, des grâces de Dieu.(11) Dans cette définition de la sainteté comme étant d’aller à Dieu, S. Thomas nous dit clairement que la sainteté consiste dans la relation à Dieu, dans le fait de prendre Dieu comme fin sachant que c’est la fin qui donne le sens!(12) Le saint authentique sera donc celui dont toute la vie trouve sens uniquement en référence à Dieu, puisque, saint Thomas l’exprime sans détour,la sainteté ordonne l’homme à Dieu.(13) Or, cela se réalise parfaitement pour le Christ et par le Christ.(14) Ainsi donc, pour mieux comprendre le rapport entre sainteté et connaissance, il sera utile de préciser quelle est la nature de notre relation à Dieu.

3. La nature de notre relation à Dieu: une disposition de tout l’être à Dieu

C’est la disposition de tout l’être à Dieu qui fonde la nature de notre relation à Dieu. Or, sur les 2669 article que compte la Somme de théologie, on pourra s’étonner qu’un seul soit proprement dédié à la sainteté!(15) Dans cet unique article, S. Thomas définit ainsi la nature de notre relation à Dieu: «On appelle sainteté, ce par quoi, l’esprit de l’homme applique lui-même et ses actes à Dieu».(16) De cette définition, nous retiendrons les deux mouvements: appliquer son esprit à Dieu et appliquer ses actes à Dieu. Tout référer à Dieu, prendre Dieu comme fin, et nous l’avons déjà rappelé: c’est la fin qui donne le sens! Certes, mais appliquer son esprit à Dieu est déjà un acte, alors pourquoi cette redondance? Sachant que l’Aquinate pèse chaque mot employé, il sera hautement profitable d’en saisir la particularité. En effet, si la sainteté investit l’homme tout entier, en ordonnant l’homme à Dieu, elle a toutefois son siège dans ce qui le spécifie, ou le caractérise, par rapports aux autres créatures corporelles: l’intelligence, ou plus précisément l’intellect — dont l’intelligence est l’acte — et une volonté délibérée. Appliquer son esprit à Dieu, pour dire les choses simplement, c’est appliquer son intelligence à Dieu.(17) Tandis que, appliquer tous ses actes à Dieu, c’est appliquer sa volonté — par les actes extérieures qui en dépendent — à Dieu, et cela concerne alors l’exercice de toutes les autres vertus.(18) L’esprit s’appliquera donc à Dieu en s’efforçant à le connaître à l’aimer: deux mouvements pour une même fin. C’est un lieu commun malheureusement, de penser que seuls les efforts entrepris pour la gloire de Dieu ou les sacrifices en tout genre, permettent d’augmenter en nous la charité; on oublie l’efficacité réelle de l’intimité avec l’objet aimé que procure la connaissance, outre les sacrements bien entendu. En devenant semblables de quelque façon à ce que nous pensons, semblables selon l’intelligence, bien sûr, l’intelligence devient véritablement un «lieu de sainteté» selon l’expression du P.Chenu(19) car cette similitude définit la connaissance même. Et parce que l’intelligence est tout orientée vers Dieu, on pourra parler de «sainteté de l’intelligence».(20) Une sainteté que l’intelligence tient de son objetparce que l’objet de l’intelligence est la Vérité et que la vérité est sainte et par là-même aimable.

Néanmoins, si la sainteté est d’aller vers Dieu, l’homme, qui est une créature raisonnable, voudra savoir quelque chose du but vers lequel il est en marche. Ainsi le choix de l’objet de la connaissance et d’une cer-taine perspective d’approche seront-ils capitaux: «C’est par la foi et la connaissance de la vérité que nous sommes sanctifiés»,(21) nous rappelle saintThomas en commentant la grande prière sacerdotale du Christ rapportée par saint Jean. Dans la vie chrétienne, on ne peut séparer la connaissance de la foi, dans la mesure où l’intelligence humaine veut saisir, connaître ce qu’elle croit, pour aimer davantage. La foi vivante sera donc nécessairement une recherche de Dieu, le plus admirable et le plus inépuisable des objets.

En même temps, sachant que le bien de l’intelligence est la vérité, on comprend pourquoi l’intelligence, — ou plus précisément l’intellect en acte — ne peut trouver de repos, tant qu’elle n’a pas rejoint la connaissance de la «vérité tout entière» (Jn 16, 13); une vérité qui est Dieu lui-même, suprême et première vérité,(22) à qui l’on donne son assentiment dans la foi et que l’on cherche à connaître dans l’intelligence, sous la lumière de la foi. Tout croyant, avec saint Paul, croit que «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité» (1 Tm 2, 4), laquelle vérité n’est accomplie parfaitement que chez les bienheureux — ou plus exactement en eux — parce qu’ils voient Dieu face à face, tel qu’il est en lui-même, fin naturelle de toute créature intellectuelle.

II. CONNAISSANCE ET AMOUR

1. Impact de l’objet connu sur l’intelligence

Quand on dit: je vois! c’est que notre esprit a saisi la réalité qu’elle cher-chait à comprendre, à saisir. Puisque la connaissance est un certain contact entre l’intelligence et l’objet connu, plus l’objet de la connais-sance est élevé, plus il élèvera l’âme qui le scrute. C’est ce qu’affirme saint Thomas dans la Somme contre les Gentils «Pour aussi imparfaite qu’elle soit, une connaissance des objets les plus élevés confère à l’âme la plus haute perfection».(23) Il convient de comprendre les ressorts et incidences de cette affirmation. En tant qu’elle est une sorte d’attention accordée à l’objet connu, la connaissance rend les choses présentes à l’esprit(24) — dans la mesure où la connaissance d’un objet est la présence de l’objet dans la pensée —, et ces choses exercent une certaine influence sur l’esprit qu’elle met en mouvement.(25) En d’autres termes, on devient semblable à ce que l’on pense. Il y a un enrichissement de celui qui connaît par ce qui est connu. Celui-là s’enrichit en devenant en quelque sorte ce qu’il connaît. (D’où l’intérêt des bonnes fréquentations!). Plus l’objet est élevé, plus il ennoblit celui connait. Ainsi la noblesse de l’objet recherché fera la noblesse du croyant, comme la noblesse de l’objet contemplé fait la gloire des bienheureux. Le fait d’avoir la pensée fixée sur Dieu permet donc au croyant de laisser s’exercer en lui la puissance sanctificatrice dont la pensée est capable et de se laisser peu à peu configurer à Dieu selon l’intelligence.(26)

Mais allons plus loin, en christianisme la Vérité première, qui est objet de foi, est aussi le Bien, objet de tout désir et tout agir humain. En effet, la foi ne se conçoit pas sans amour et l’amour ne se conçoit pas sans connaissance, d’autant plus que le croyant ne donne pas son assentiment à une vérité-concept, comme le philosophe, mais à une vérité-personne, ainsi que nous l’avons rappelé au début de cette étude.(27) Cela ne diminue nullement le rôle de l’intelligence pour notre recherche,(28) parce que la volonté résulte de l’intelligence, la suit et en dépend comme de sa cause. En effet, nous dit saint Thomas: «Dans la ferveur de sa foi, le chrétien aime la vérité qu’il croit; il la tourne et re-tourne en son esprit; il l’embrasse, en cherchant tant qu’il peut des raisons à cette cogitation et à cet amour».(29) Autrement dit, l’amour porte à connaitre profondément en donnant plus d’intimité avec l’objet dans lequel il se complait. Plus on s’élève dans l’ordre de la connaissance surnaturelle, plus la convenance entre l’amour et la connaissance de Dieu devient une nécessité, si bien que la perfection de la connaissance ne peut aller sans l’amour.

Cependant, l’intelligence humaine fait entrer Dieu dans nos limites, dans les limites de cette même intelligence, c’est-à-dire dans les limites de la nature humaine. On trouve chez saint Thomas, une exaltation du désir de connaissance, en ce qu’il apparaît comme une façon de dépasser la finitude ontologique de la créature.(30) Et en recevant Dieu à sa manière qui est limitée, l’intelligence le «rabaisse» en quelque sorte à sa nature humaine, tandis que la volonté, elle, se porte vers Dieu tel qu’il est en soi-même, et cela dès ici-bas comme au ciel, si bien qu’elle est élevée jusqu’à lui et porte un caractère extatique. Ici-bas, l’amour va plus loin que la connaissance parce qu’il nous transporte en celui que nous aimons, tandis que la connaissance ne fait qu’attirer à nous l’objet connu et l’enferme en quelque sorte à l’intérieur de nos limites qui sont de véritables frontières afin de le posséder. Cela explique pourquoi en cette vie terrestre, l’amour de Dieu vaut mieux que la connaissance (melior est amor Dei quam cognitio(31) ). La perfection sur cette terre consiste dans la charité, mais la vie éternelle est de connaître Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ (cfr. Jn 17, 3). Tout est dit, «et tout le reste est littérature» dirait Verlaine!(32) En somme, si la recherche de Dieu, ou le désir de connaître la vérité de Dieu, est menée sous une lumière de foi, c’est-à-dire si elle est ordonnée à l’amour de charité, lequel est la mesure de notre sainteté (cfr. In Cant., Proemium et c. 1). Et c’est là, au fond, la définition de la contemplation. Voir pour aimer. Les exigences du primat absolu de l’intelligence sur le primat relatif et temporaire de la volonté sont à concilier dans une vie où toute connaissance, ayant pour principe de son exercice l’amour, aura encore l’amour pour terme, parce que l’intelli-gence tourne à aimer.

Comprendre, c’est voir. Voir, c’est contempler!

2. Connaissance, contemplation et sainteté

Après avoir établi que la sainteté est d’aller vers Dieu, et que l’homme en tant que créature raisonnable, veut savoir quelque chose du but vers lequel il est en marche, il nous faut encore admettre que si c’est bien par la foi et la connaissance de la première vérité que nous sommes sanctifiés sur cette terre,(33) cette connaissance parfaite de la première vérité ne trouve son accomplissement que chez les bienheureux qui, au ciel, voient Dieu face à face, tel qu’il est en lui-même. Ainsi, vivre heu-reux, ne voudrait pas dire aimer ce que l’on possède, mais posséder ce que l’on aime.(34) Et posséder ce que l’on aime advient par un acte de connaissance — considérée par Thomas comme la forme la plus raffinée de la possession(35) — à travers la vision ou contemplation qui fait entrer l’Aimé dans l’aimant.(36) C’est pourquoi le Docteur angéliquepeut affirmer qu’en cette vie, rien ne ressemble plus à ce bonheur suprême et ultime que cette contemplation de la vérité autant qu’il est loisible ici-bas.(37) Elle est donc l’anticipation de la béatitude du ciel. L’idéal de la vie humaine, la sainteté, sera alors une connaissance de Dieu entreprise par amour et s’achevant en amour. (38) C’est là, au fond, la définition de la contemplation: parce qu’elle est chargée d’amour, cette connaissance se tourne en contemplation, laquelle ne peut en aucun cas prendre le pas sur la perfection de la charité, précise saint Thomas. Mais le dilemme que saint Paul confiait aux Philippiens: «Je me sens pris dans cette alternative: j’ai le désir de partir et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur, mais il est plus nécessaire que je demeure dans la chair à cause de vous» (Ph 1, 23), est celui de tout chrétien désireux des choses de Dieu, en marche vers la sainteté.

Les saints recherchent quelque chose pour eux-mêmes et quelque chose pour les autres. Pour eux-mêmes, ils désirent adhérer au Christ par la contemplation, soit en ce monde dans la mesure où le permettent les infirmités de la vie présente, soit dans la vie future où ils pourront le contempler pleinement. Mais à cause des autres, ils sont parfois contraints de quitter une contemplation tant désirée pour s’engager dans le tumulte de l’action. Ils gardent ainsi le désir du repos de la contemplation tout en soutenant patiemment le labeur de l’action pour le salut du prochain.(39)

Et avec un sens psychologique remarquable, l’Aquinate n’hésite pas à en souligner le danger ou la grandeur:

Il y en a certains, qui librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre cours à la contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en eux ou rien ou peu de charité n’apparaît. Certains,dans la mesure où ils ont plaisir à vaquer à la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, se consacrent aux complaisances di-vines pour le salut de leurs proches. Et certains montent à un tel sommet de charité, que bien qu’ils trouvent dans la contemplation divine un très grand plaisir, ils l’abandonnent pour se consacrer au salut de leurs proches; et cette perfection apparaît chez Paul, qui disait (Rm 9, 3): Je sou-haiterais être moi-même anathème, c’est-à-dire séparé, séparé du Christ pour mes frères et aux Ph 1, 23-24: Ayant le désir d’être dissout, et d’être avec le Christ, mais demeurer dans ma chair est nécessaire à cause de vous. Et cette perfection est particulièrement celle des prélats, et des prédica-teurs et de certains autres, qui s’attachent à procurer le salut aux autres.(40)

De cette contemplation d’essence intellectuelle, mais qui trouve son principe et son accomplissement dans la charité, il convient de dire un mot. Ce concept de contemplation, d’origine païenne, certes, a acquis droit de cité en christianisme et ne doit pas être réservé aux mystiques ou aux religieux dit contemplatifs, et servir de repoussoir inaccessible au simple chrétien. En effet, cette contemplation n’est pas réservée à un groupe restreint de personnes ou d’âmes exceptionnelles; elle est naturelle à tout chrétien authentique et est, en fait, en fait un autre nom de la sainteté. Le chrétien est contemplatif ou il n’est pas vraiment chrétien(41) carla contemplation ne se limite pas aux états mystiques extraordinaires, ni au temps passé à l’oraison, elle inclut tout ce qui regarde notre progrès dans la connaissance de Dieu.(42) Elle est ce regard posé avec insistance et ferveur sur l’objet que l’effort de l’esprit a enfin tiré de l’ombre. Elle est connaissance simple, pénétrante et savoureuse, mais connaissance! Le regard contemplateur, sans rien perdre de son essence intellectuelle, est alors l’effet d’une communion vitale où le don d’amour est le principe de la connaissance. L’Esprit Saint, don d’amour, nous constitue ainsi «contemplateurs de Dieu»(43) dans la mesure où le propre de l’amitié est de converser avec l’ami et que la conversation de l’homme avec Dieu se fait dans la contemplation, selon l’affirmation de saint Paul: «Notre conversation est dans les cieux» (Ph 3, 20).(44)

Il faut s’entendre: pour Thomas la volonté a son terme dans l’objet aimé. Or, L’objet de la contemplation, à savoir Dieu, est aimé en tant qu’il est connu et, dans cet acte d’amour, l’homme se porte au-delà de lui-même vers l’objet qu’il connaît. Ainsi Thomas met-il en valeur le lien intrinsèque de la vision contemplative, ou spéculation, avec l’objet contemplé, ce qui n’enferme en aucun cas la contemplation sur soi-même. Cela différencie notablement la notion de contemplation thomasienne, et plus généralement médiévale, de celle véhiculée par la Dévotion Moderne par exemple, ou encore de la contemplation carmélitaine, car nous ne nions pas d’autres voies d’accès à une certaine contemplation. Saint Thomas, quant à lui, considère la contemplation dans son objet qui est la Vérité divine.

L’Aquinate s’est plu, d’abord dans son Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard puis dans la Somme de théologie, à énumérer, en les organisant, les six espèces de contemplation empruntées à Richard de Saint-Victor(45) — dont seule la dernière semble concerner la contempla-tion de la vérité divine —, pour en faire autant de degrés par lesquels l’homme parvient de la considération des créatures à la contemplation de Dieu.(46)

En partant des réalités visibles il s’agit de monter vers les réalités in-visibles en en cherchant les principes; regarder Dieu, jouir de cette vue, s’enflammer davantage d’amour pour Celui dont on entrevoit la beauté, et scruter par amour toujours, sous l’influence de l’Esprit Saint qui est l’Amour de Dieu, les profondeurs de Dieu car «L’Esprit sonde tout, jusqu’aux profondeurs de Dieu» (1 Co 2, 10). Là se trouve la perfection, la sainteté, la Sagesse, où amour et vérité se rencontrent comme dit le psalmiste (Ps 84, 11). Saint Thomas tirera dans la Somme contre les Gentils une conséquence magistrale de ce rôle de l’Esprit-Saint qui procède du Père et du Filset fonde en nous cette inclination infinie: étant donné que c’est l’Esprit-Saint qui nous rend amis de Dieu, explique-t-il, il est normal que ce soit lui qui nous constitue contemplateurs de Dieu.(47) Enfin, il s’agira de contempler Dieu pour la joie de le voir, parce qu’on l’aime et que l’amour ne se contente pas d’une vue superficielle, mais veut pénétrer dans l’intimité de l’amipuisque l’amour crée entre les amants une affinité profonde,(48) une connaturalité, une unité qui est la condition d’une certaine saisie plus intuitive que conceptuelle de la vérité de la personne aimée.

Ainsi, sachant que l’on ne peut aimer que ce que l’on connaît du moins un peu, ou, au moins, d’une certaine façon, mais que l’on ne connaît vraiment que ce que l’on aime, si nous aimons Dieu, nous désirons mieux le connaître, et plus nous le connaissons, plus nous l’aimons; cette circulation — au sens étymologique du terme — est la contemplation même.(49)

3. Circulatio ad invicem ou circulation réciproque

Il convient à présent de comprendre l’interconnexion ou interaction dynamique du désir de connaître et de l’amour soulignée par le Docteur angélique. C’est-à-dire le lien entre l’amour et la connaissance par le désir. Ce mouvement entraine une sorte de circulatio ad invicem entre l’intelligence et la volonté, une sorte d’interconnexion dynamique entre la connaissance et l’amour:(50) l’amour reflue sur la connaissance, il l’enrichit intellectuellement et devient à la fois un amour qui regarde et une anticipation de ce qui sera notre vie éternelle: voir Dieu. C’est-à-dire que chacun dispose l’autre à la croissance dans une sorte de cercle ascendant, pour ainsi dire. L’Amour ne donne pas à formellement parler la connaissance, hormis la connaissance par connaturalité; il en suscite cependant l’acte, en tant que désir de connaître. L’âme, ainsi comblée par la communication que Dieu lui fait de lui-même, désire de toute sa force remonter vers celui qui la lui donne.

Cette connaissance comme spéculation — spéculation et contemplation ont le même sens au Moyen âge(51) — a sa valeur en elle-même, certes, mais elle agit néanmoins sur l’amour pour l’augmenter, dans la mesure où elle lui donne une plus grande intimité avec son objet. Un cycle est alors accompli et c’est une des affirmations favorites de l’enseignement de Thomas: on part de l’amour pour connaître, et l’on aime mieux d’avoir bien connu; comme si l’amour pour la réalité contemplée, cette charité que l’Esprit répand dans nos cœurs, devenait le moyen d’une connaissance plus profonde de Dieu.

On peut toutefois, selon une autre perspective, partir du désir de la connaissance; cette dernière, en donnant plus d’intimité avec connu en vérité, en dévoile la beauté, la grandeur, la bonté et fait croître l’amour. Et c’est bien là, dans ces deux perspectives, tenues ensemble, qu’il faut voir le fondement du lien entre connaissance et sainteté.

On rappellera cependant que, s’il y a interaction entre les facultés d’intelligence et de volonté, entre connaissance et amour, il n’y aura pas de confusion entre les puissances! Se proposer de connaître pour mieux aimer; aimer afin de mieux connaître; subordonner toute connaissance et toute activité à la sagesse d’amour, telle est l’anticipation la plus par-faite de la vie du ciel.(52) Jésus l’a affirmé clairement durant la sublime prière sacerdotale: «La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ» (Jn 17, 3).

4. La science des saints ou la connaissance par connaturalité

Saint Thomas expose deux façons ici-bas pour accéder à la Sagesse, à la connaissance de Dieu; deux façons qui normalement se complètent et se compénètrent: grâce à un bon usage de la raison, on peut acquérir par l’étude humaine un jugement correct sur les choses divines; mais on peut encore l’obtenir grâce à une certaine connaturalité avec les choses divines.(53) Il s’agit là d’une connaissance expérimentale, une science savoureuse dont saint Thomas parle à propos de la sagesse surtout. Elle est à ses yeux la «science des saints»,(54) la scientia sanctorum évoquée par le Livre des Proverbes: «La science des saints, c’est l’intelligence».(55) Quoiqu’il en soit de l’interprétation de santorum(56) que l’on peut entendre comme science des saints ou bien comme science des choses divines, cette science est une intelligence des choses divines(57) que nous sommes invités à recevoir et à acquérir chacun à notre ni-veau, à condition d’incliner notre intelligence sous la foi, dans la charité.(58)

Assurément, l’amour de charité renforce la faculté de perception de l’intelligence, car c’est alors le cœur qui comprend ou perçoit (cfr. Lc 24,25; 1 Jn 4,7). Il ne suffit pas d’avoir appris les choses divines, dit saint Thomas, il faut encore les avoir éprouvées. Or, poursuit-il, «cette com-passion [sympathie] ou connaturalité aux choses divines se réalise par la charité qui nous unit à Dieu, selon l’affirmation de saint Paul:“Celui qui adhère au Seigneur, est un seul esprit avec lui” (1Co 6,17)».(59) En créant entre les amants une certaine affinité, l’amour devient en quelque sorte connaissance; une affinité que l’on pourrait qualifier de sympathie ou de compassion, de connaturalité, d’unité, toutes conditions d’une saisie expérimentale, certes voilée et non-conceptuelle, de la vérité de la personne aimée. Et l’Aquinate a recourt à plusieurs reprises à ce type de connaissance pour rendre raison de la contemplation propre à la sagesse infuse comme don de l’Esprit.(60) C’est pourquoi la croissance dans la charité donne un meilleur éclairage sur l’objet de la foi ou une «plénitude d’intelligence» spirituelle (Col 2,2): une force pour saisir (cfr. Col 1,9; Ep 3,17).(61) Ainsi, la saisie affective est elle-même transformée en valeur d’intelligibilité, par l’intermédiaire de l’objet aimé.(62) L’amour reflue sur la connaissance, il l’enrichit intellectuelle-ment et devient un amour qui regarde, une anticipation de ce qui sera notre vie éternelle: voir Dieu. Cela revient à dire que l’amour pour la réalité contemplée, cette charité que l’Esprit répand dans nos cœurs, devient le moyen d’une connaissance plus profonde de Dieu. Et on en déduira que le chrétien ne peut pas ne pas être contemplatif!

Il convient toutefois de rappeler que pour saint Thomas, si la contemplation fait partie de la perfection chrétienne sur la terre, elle ne la constitue pas, parce que, ici-bas, c’est l’amour qui nous unit parfaite-ment à Dieu et non la connaissance. Mais elle est, selon l’expression du Cardinal P. Philippe, «le complément normal et indispensable de la cha-rité»,(63) qui veut que l’on connaisse celui qu’on aime et fera proprement l’objet de notre béatitude.

Conclusion

Le désir authentique de la nature humaine porte l’homme à connaître Dieu à la manière de Dieu, c’est-à-dire par une participation intime à la connaissance qu’il a de lui-même: la vision béatifique. Nous savons que c’est par un acte de connaissance, à savoir la vision béatifique que l’homme trouve sa pleine réalisation, accomplissement absolu de sa nature. En effet, l’homme, de par sa nature d’être intelligent, désire toujours connaître, et il se réjouit quand il parvient à la connaissance d’une vérité. Ainsi, pour celui qui cultive son désir de connaître Dieu pour l’aimer davantage, la récompense sera d’apercevoir dans la contemplation au moins quelque chose de ce qu’il aime et d’éprouver la joie qui s’ensuit. C’est pourquoi affirme saint Thomas, la contemplation est la source de la plus haute joie chez celui qui aime Dieu et le contemple parce que l’ultime béatitude de l’homme réside dans la contemplation de la vérité.(64) Et la joie devient d’autant plus intense que l’objet auquel on pense est aimé, c’est ici une anticipation de la gaudium de veritate, la joie de la vérité.(65)

Ce désir de connaissance qui habite l’homme est en outre envisagé par saint Thomas comme une façon de dépasser sa finitude ontologique. Son désir infini vient palier aux limites de sa connaissance ici-bas. C’est le désir de connaître la vérité Dieu, un désir orienté, purifié et ordonné selon la foi et la raison qui donne à l’homme, non seulement un sens à son existence, mais aussi son unité profonde en rendant son intelligence éminemment sensible à Dieu, sous la motion de l’Esprit saint qui réellement nous constitue «contemplateurs de Dieu».(66) Seul capable de réaliser l’unité de ces dialectiques apparemment parallèles en satisfaisant la connaissance et l’amour, c’est-à-dire la connaissance objective ou spéculative et la connaissance subjective ou affective, le sage, le saint ou le théologien sera donc, selon la doctrine de saint Thomas, un esprit en quête du vrai sous l’impulsion d’un brûlant amour.

C’est pourquoi, une certaine connaissance de Dieu, bien sûr proportionnée à la condition de chacun, appartient de droit à toute vie spirituelle en tant que vie de l’esprit. Plus on connaît Dieu, plus on est émerveillé, plus on s’y attache de tout son être: intellectuellement et spirituellement. Et cette connaissance vraie de Dieu, est riche de sainteté puisque celle-ci, nous dit saint Thomas, se réalise dans la contemplation de la vérité divine, qui doit être la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions et qui est l’anticipation sur terre de la béatitude du ciel.(67)

Notes

1. ARISTOTE, Métaphysique, I, 1.8

2. Cfr. P. ROUSSELOT, L’intellectualisme de saint Thomas, Beauchesne, Paris 1924, pp. x-xi, pour qui: «Ce n’est pas une idée qui est au sommet de tout, c’est une Personne spirituelle»; voir également M.-D. CHENU, Saint Thomas d’Aquin et la théologie, Sagesse, Seuil, Paris 20052, p. 57.

3. Cfr. ST, Ia, q. 93, a. 4 co: «Cum homo secundum intellectualem naturam ad ima-ginem Dei esse dicatur, secundum hoc est maxime ad imaginem Dei, secundum quod intellectualis natura Deum maxime imitari potest. Imitatur autem intellectualis natura maxime Deum quantum ad hoc quod Deus seipsum intelligit et amat».

4. Cfr. SCG, IV, 17: «Santificare homines proprium Dei opus est: dicitur enim Levit. 22 [32]: “ego Dominus, qui sanctifico vos”» [On notera que la référence donnée par Thomas n’est pas exacte et qu’il faut se référer en réalité à Lv 21, 8].

5. Alors que la Bible de Jérusalem utilise non pas le verbe «sanctifier» mais «consacrer»: «Consacre-les dans la vérité», nous avons repris ici la traduction de la Vulgate qu’utilisait saint Thomas. Soulignons au passage le rôle de médiateur du Christ dans notre sanctification qu’il demande positivement au Père.

6. Cette sanctification est appropriée, d’une façon différente au Fils et à l’Esprit-Saint, en ce sens que l’Esprit est le don lui-même de la sanctification, tandis que le Fils est l’auteur du don.

7. Voir ST, IIa IIae, q. 185, a. 3 ad 3.

8. M.-D. CHENU, Saint Thomas d’Aquin et la théologie, cit., pp. 71–103, ici p. 68.

9. Le mot nature ici doit être pris non pas au sens ascétique, mais au sens métaphysique. Ce mot désigne ici la nature humaine en ce qu’elle a d’essentiel, de bon, selon d’idée du Créateur. Cfr. R. GARRIGOU LAGRANGE, «Le caractère et les principes de la spiritualité dominicaine», in La spiritualité dominicaine, Cerf, s.d., pp.71–103, ici p. 85.

10. Super ev. Ioannis, c. 13, lect. 1, n. 4: «In hoc est sanctitas hominis quod ad Deum vadat».

11. Cfr. ST, IIa IIae, q. 180, a. 3, ad 3.

12. Le mot fin se prend en deux sens, précise saint Thomas: «L’objet que nous souhaitons obtenir et l’atteinte ou la possession, l’usage ou la jouissance de l’objet souhaité» (Cfr. ST, Ia IIae, q. 3, a. 1).

13. Voir en particulier Super ev. Ioannis, c. 13, lect. 1, n. 4 et ST, IIa IIae, q. 81, a. 1.

14. Cfr. ST, IIIa, q. 19, a. 2. Une imitation du Christ sera conditionnée par la pureté et la fermeté qui sont les conditions nécessaires, car, explique saint Thomas, si l’esprit est lié par les choses d’ici-bas, il ne pourra s’unir à la réalité suprême qu’est Dieu. Si la stabilité est requise à l’application de l’âme à Dieu, c’est parce qu’elle doit s’y attacher comme à son premier principe et à sa fin ultime et Dieu est immuable au plus haut point. (Cfr. ST, IIa IIae,q. 81, a. 8, c.).

15. Cette précision a été soulignée par le P. Daniel Ols, dans un remarquable article sur la sainteté dominicaine: voir D. OLS, La sainteté dominicaine à la lumière de la doc-trine de saint Thomas, in Santus Thomas de Aquino, Doctor hodiernae humanitatis, Pontificia Accademia di S. Tommaso, Studi tomistici 58, Roma, Liberia Editrice Vaticana, 1995, pp. 314–338, ici p. 315, ce point de l’étude lui en est largement redevable.

16. ST, IIa IIae, q. 81, a. 8, co: «Sanctitas dicitur per quam mens hominis seipsam et suos actus applicat Deo». L’utilisation par S. Thomas du terme mens, est à replacer dans la grande tradition, qui à partir des Pères Alexandrins et de S. Augustin, a placé l’image de Dieu, dans sa dimension spirituelle, dans la mens de l’homme, entendue comme siège de l’intellect et de la volonté, et cette image est image de la Trinité.

17. Cfr. ST, Ia, q. 93, a. 6, co: «Id […] in quo creatura rationalis excedit alias creaturas, est intellectus sive mens».

18. Voir D. OLS, La sainteté dominicaine, art. cit., p. 315.

19. M.-D. CHENU, Saint Thomas d’Aquin et la théologie, cit. p. 44.

20. L’expression, qui a tant à dire, est de J. MARITAIN, Le Docteur Angélique, Édition Universitaires – Éditions Saint-Paul, Fribourg – Paris, 1983 [1ère éd. 1930], p. 51.

21. Super ev. Ioannis, c. 17, 1. 4: «Nam per fidem et cognitionem veritatis sanctificamur».

22. Cfr. ST, Ia, q. 16, a. 5, co: «Veritas invenitur in intellectu secundum quod apprehendit rem ut est, et in re secundum quod habet esse conformabile intellectui. Hoc autem maxime invenitur in Deo. Nam esse suum non solum est conforme suo intellectui, sed etiam est ipsum suum intelligere; et suum intelligere est mensura et causa omnis alterius esse, et omnis alterius intellectus; et ipse est suum esse et intelligere. Unde sequitur quod non solum in ipso sit veritas, sed quod ipse sit ipsa summa et prima veritas».

23. SCG, I, 5: «Ex quibus omnibus apparet quod de rebus nobilissimis quantumcumque imperfecta cognitio maximam perfectionem animae confert».

24. Parce que la connaissance d’un objet est la présence de l’objet dans la pensée, sans que le sujet connaissant ou l’objet connu ne cesse d’être soi-même. [il est nécessaire que l’objet connu soit dans le sujet connaissant à la façon du connaissant. (De Veritate, q. 1, a. 2)] Ce qui amène saint Thomas à affirmer dans la Question disputée De Veritate, q. 11, a. 1, arg. 11 que la science est assimilation du savant à l’objet connu.

25. Nous reviendrons sur ce mouvement qui entraine une sorte de circulatioad invicem entre l’intelligence et la volonté: une interconnexion dynamique entre la connaissance et l’amour.

26. Cfr. TH. DEMAN, Connaissance et sainteté chez saint Thomas d’Aquin, «La Vie Spirituelle» 72/2 (mars 1945), pp. 143–158, ici pp. 148–149.

27. Cfr. supra note 2.

28. Saint Thomas enseigne qu’absolument parlant, l’intelligence (l’intellect) est une faculté plus noble que la volonté, et la connaissance plus noble que l’amour, d’une part à cause du primat du vrai — objet de l’intelligence —, sur le bien — objet de la volonté; et d’autre part, parce que la volonté résulte de l’intelligence, la suit, et en dépend comme de sa cause.

29. ST, IIa IIae, q. 2, a. 10: «Cum enim homo habet promptam voluntatem ad credendum, diligit veritatem creditam, et super ea excogitat et amplectitur si quas rationes ad hoc invenire potest».

30. Nous préférons, pour notre part, parler d’«exaltation» du désir de connaissance, là où S.-Th. Bonino parle de «mystique» de ce même désir de connaissance. Cfr. S.-TH. BONINO, Etudes thomasiennes, Parole et Silence, Bibliothèque de la Revue thomiste, Paris 2018, p. 410.

31. ST, Ia, q. 82, a. 3.

32. P. VERLAINE, «Art poétique», Jadis et Naguère, Paris, 1884.

33. Cfr. Super ev. Ioannis, c. 17, lect. 1, n. 4.

34. Sur la controverse du primat de la volonté ou de l’intelligence dans la nature de la béatitude chez S. Augustin et S. Thomas, on se reportera avec profit à J. PIEPER, Felicità e contemplazione, Morcelliana, Brescia 1962, en particulier au ch. VII.

35. Cfr. In De causis, 18; voir également In Sent., IV, d. 49, q. 3, a. 5, ql 1 ad 2.

36. Cfr. ST, Ia IIae, q. 28, a. 1 et 2.

37. Voir SCG III, 63: «Sic igitur patet quod per visionem divinam consequuntur intellectuales substantiae veram felicitatem, in qua desideria quietantur, et in qua est plena sufficientia omnium bonorum, quae secundum Aristotelem [X Ethic., 7,3], ad fe-licitatem requiritur. Unde et Boetius dicit [III De Cons., pr. 2] quod beatitudo est status omnium bonorum congregatione perfectus. Huius autem ultimae et perfectae felicitatis in hac vita nihil est adeo simile sicut vita contemplantium veritatem, secundum quod est possibile in hac vita».

38. Cfr. ST, IIa IIae, q. 180, a. 1.

39. «Sancti viri aliquid propter se quaerunt, aliquid propter alios. Propter se quidem quaerunt Christo per contemplationem inhaerere, vel in hoc mundo, quantum praesentis vitae infirmitas patitur, vel in futura vita, ubi eum plenissime contemplentur. Sed propter alios interdum coguntur a desiderata contemplatione discedere et se actionum tumultibus implicare. Sic ergo, et in desiderio habent quietem contemplationis, et tamen propter salutem proximorum patienter sustinent laborem actionis. Unde Paulus: “Co-arctor e duobus, desiderum habens dissolvi et esse cum Christo, permanere autem in carne necessarium propter vos”. (Phil. 1, 23)». (Contra imp. Dei cultum, c. 19). Voir éga-lement Quaestiones disputateDe virtutibus, q. 2 (De Caritate), a. 11, ad 6.

40. Q. D.De virtutibus, q. 2, (De Caritate), a. 11, ad 6: «Sunt enim quidam qui liben-ter, vel sine magna molestia, separantur a vacatione divinae contemplationis, ut terrenis negotiis implicentur, et in his vel nihil vel modicum caritatis apparet. Quidam verum in tantum delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere nolunt, etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3: Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis; – et ad Philipp., I, 23-24: Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec perfectio est proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum, qui procurandae saluti aliorum insistunt». (Le soulignement est nôtre).

41. Cfr. D. OLS, La sainteté dominicaine, art. cit., p. 318.

42. Cfr. ST, IIa IIae, q. 180, a. 4, c.

43. SCG, IV, 22: «Per Spiritum Sanctum Dei contemplatores constituamur».

44. Cfr. SCG, IV, 22: «Hoc videtur esse amicitiae maxime proprium, simul conversari ad amicum. Conversatio autem hominis ad Deum est per contemplationem ipsius: sicut et Apostolus dicebat, Philipp. 3, 20: Nostra conversatio in caelis est. Quia igitur Spiritus Sanctus nos amatores Dei facit, consequens est quod per Spiritum Sanctum Dei contem-platores constituamur».

45. RICHARDDE SAINT-VICTOR, De gratia contemplationis, l. 6, c. 6, PL 196, 70.

46. Super Sent. III, d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3: «Praeterea, Richardus de sancto Victore ponit sex species contemplationis. Prima est, quando sensibilia per imaginationem considerantes, in eis divinam sapientiam admiramur. Secunda est, quando earum rationes inquirimus. Tertia, quando ex visibilibus in invisibilia ascendimus. Quarta, quando, remota imaginatione, in solis intelligibilibus versamur. Quinta, quando ea consideramus quae ex divina revelatione cognoscimus, non humana ratione. Sexta, quando ea consideramus quibus etiam humana ratio contradicere videtur. Sed in his speciebus comprehenditur omnis operatio intellectus. Ergo omnis operatio intellectus ad vitam contemplativam pertinent». Voir également ST, IIa IIae. q. 180, a. 4, ad 3, où cette énumération est reprise:«Dicendum quod per illa sex designantur gradus quibus per creaturas in Dei contemplationem ascenditur. Nam in primo gradu ponitur perceptio ipsorum sensibilium; in secundo vero gradu ponitur progressus a sensibilibus ad intelligibilia; in tertio vero gradu ponitur diiudicatio sensibilium secundum intelligibilia; in quarto vero gradu ponitur absoluta consideratio intelligibilium in quae per sensibilia pervenitur, in quinto vero gradu ponitur contemplatio intelligibilium quae per sensiblia inveniri non possunt, sed per rationem capi possunt; in sexto gradu ponitur consideratio intelligibilium quae ratio nec invenire nec capere potest, quae scilicet pertinent ad sublimem contempla-tionem divinae veritatis, in qua finaliter contemplatio perficitur».

47. Cfr. SCG, IV, 22.

48. «Amans non est contentus superficiali apprehensione amati, sed nititur singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere et sic ad interiora ejus ingreditur» (ST, Ia IIae, q. 28, a. 2).

49. Cfr. ST, IIa IIae, q. 180, a. 7, ad 1: «Vita contemplativa, licet essentialiter consistat in intellectu, principium tamen habet in affectu, inquantum videlicet aliquis ex caritate ad Dei contemplationem incitatur. Et quia finis respondet principio, inde est quod etiam terminus et finis contemplativae vitae habetur in affectu, dum scilicet aliquis in visione rei amatae delectatur et ipsa delectatio rei visae amplius excitat amorem. Unde Grego-rius dicit, Super Ezech. [l. 2, hom. 2 (PL 76, 954)], quod “cum quis ipsum quem amat viderit, in amorem ipsius amplius ignescit”. Et haec est ultima perfectio contemplativae vitae, ut scilicet non solum divina veritas videatur, sed etiam ut ametur».

50. Thomas parle de cette interconnexion dynamique, en citant Aristote dans le Qu. disputatae de veritate, q. 1, a. 2 qui la décrit au troisième livre sur l’Âme [De anima, III, 9 { 433°14ff } ] comme «un certain cercle dans les actes de l’âme, de la façon suivante: la réalité qui est hors de l’âme meut l’intelligence, une fois pensée elle meut l’appétit, et l’appétit tend à atteindre la réalité qui était au départ du mouvement».

51. Cfr. sur le sujet, l’article incontournable de S. PINCKAERS, Recherche de la signification véritable du terme spéculatif, «Nouvelle Revue Théologique» 80/7 (1959), pp. 673-695.

52. Cfr. L. LAVAUD, Saint Thomas d’Aquin, sa sainteté, sa doctrine spirituelle, Ed, la Vie Spirituelle, Saint-Maximin, s.d., p. 12.

53. Cfr. ST, IIa IIae, q. 45, a. 1, ad 2 et a. 2 c.

54. A.-D. SERTILLANGES, Saint Thomas d’Aquin, Les grands cœurs, Flammarion, Paris 1931, p. 6.

55. Pr 9, 10: «Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de l’Éternel; Et la science des saints, c’est l’intelligence».

56. Selon que sanctorum sera considéré comme un génitif pluriel masculin on tra-duira des saints ou neutre auquel cas on traduira par des choses saintes.

57. «In contemplatione divinorum maxime consistit beatitudo» (ST, Ia IIae, q. 3, a. 5 c).

58. Saint Thomas affirme que dans la connaissance, il faut considérer deux choses: la réception et le jugement sur ce que l’on a reçu. (De Veritate, q. 12, a. 3 ad 1). Or, l’activité de notre raison consiste à connaître la vérité: découvrir ce qui est vrai et découvrir ce qui est bon. Mais cela de deux manières: nous connaissons la vérité pour la contempler, c’est-à-dire pour d’affirmer ce qui est vrai et aimer ce qui est bon. Ou bien nous cherchons à connaître la vérité pour fixer des buts que nous puissions viser, pour trou-ver des biens que nous puissions posséder, en somme, pour diriger notre action à sa lumière.

59. ST, IIa IIae, q. 45, a. 2: «Compassio sive connaturalitas ad res divinas fit per caritatem, quae quidem unit nos Deo, secundum illud I ad Cor. 6, 17: “qui adhaeret Deo unus spiritus est”».

60. On parle également de jugement intuitif de valeur, c’est à dire « une saisie de la vérité à partir du bien et du retentissement affectif qu’il provoque dans le sujet ». (Voir S.-TH. BONINO, Etudes thomasiennes, cit., p. 240).

61. Voir C. SPICQ, Théologie morale du Nouveau Testament, vol. 2, Librairie Lecoffre, J. Gabalda et Cie, Paris 19704, p. 546.

62. Cfr. M.-D. CHENU, Saint Thomas d’Aquin et la théologie, cit., p. 64.

63. Voir à ce sujet P. PHILIPPE, Les fins de la vie religieuse selon saint Thomas d’Aquin, Éditions de la Fraternité de la Très Sainte Vierge Marie, Athènes – Rome, s.d. [1962], p. 30.

64. Cfr. SCG, III, 37; voir également IIa IIae, q. 180, a. 7.

65. AUGUSTIND’HIPPONE, Confessions, 10, 23,33. Cette expression que S. Augustin uti-lise pour définir «la vie heureuse», est particulièrement prisée par le Docteur angélique pour qui le terme gaudium ne peut s’employer que pour les plaisirs consécutifs à la rai-son. C’est pourquoi on n’attribue pas aux bêtes la joie, mais seulement le plaisir. (Cfr. ST, Ia, IIae, q. 31, a. 3).

66. SCG, IV, 22, voir supra note 44.

67. ST, IIa IIae, q. 4, a. 2 ad 3um: «veritas prima, quae est fidei obiectum, est finis omnium desideriorum et actionum nostrarum».